FASHIONMAGhreb

FASHIONMAGhreb

ISABELLE EBERHARDT

Actualité littéraire francophone au Maroc

 

Isabelle Eberhardt, "Amours Nomades" recueil de nouvelles choisies, collection Femmes de Lettres, éditions Folio, 2008, 139 pages, 18 à 23 dhs selon les libraires

 

Nouvelliste, orientaliste, féministe? Chantresse de la ChickLit avant l'heure.

 

Ce qu'il y a de touchant chez Miss Eberhardt, patronyme qui a dû titiller l'oreille des amoureux de la chose littéraire et de la chose dite "orientale", c'est que sa vie est plus intéressante que ses écrits: en tous cas, si ces quelques nouvelles sont représentatives du reste de son oeuvre, bien qu'elles expriment assez fidèlement les impressions ressenties par un étranger au pays des merveilles, par des descriptions d'une justesse assez poétique ("Autour des troncs ciselés des dattiers, sous les frondaisons arquées, des pampres très verts s'enroulaient et des grenadiers en fleur saignaient dans l'ombre"), le contenu des historiettes n'en reste pas moins d'un langueur qui frise l'ennui, mais dont la lecture est motivée par une certaine richesse lexicale qui vient compenser le manque de recherche dans les scénarii : un fier guerrier arabe tombe amoureux par coup de foudre d'une belle femme arabe, ils s'aiment charnellement d'un amour impossible et l'un d'eux, voire les deux, meurent. Le tout finement saupoudré de vocabulaire local de-ci, de-là.

 

Souvent, la chute est prévisible et ces mini contes d'amour et de mort, s'ils restent universellement abordables, ne font qu'en fait galvauder des idées, qui certes à l'époque de l'auteure (XIXème siècle) n'étaient pas encore devenues des clichés, mais qui y ont participé à entretenir des notions pour le moins anti féministes : la principale qualité des héroïnes est leur beauté, leur soumission étant un trait de caractère typique, à l'instar de leur sensualité : "Passive, d'abord, héréditairement, Fatima Zohra était devenue une amoureuse ardente, à l'éveil de ses sens harmonieux, faits pour les voluptés". "Et mes fesses, tu les aimes mes fesses?", interrogera candidement Brigitte Bardot un siècle plus tard.

 

 

Ne disons donc pas merci à Isabelle Eberhardt, femme pour le moins spéciale : née en Russie, elle se travestit pour voyager à l'aise; fascinée par les Arabes, elle en épousa un, se convertit à l'Islam (soufi), écrivit des livres avant de périr noyée à l'âge de 27 ans. Ses textes ne trahissent aucune velléité de représenter ni de secourir la condition féminine. Solitaire dans l'âme, la tentation est grande de la taxer d'égoïsme. Libre femme au point d'en adopter des caractéristiques toutes masculines (elle s'approprie ce genre quand elle écrit à la première personne), voyageuse effrontée, elle n'en était pas moins dépendante de la faiblesse de sa chair et d'un romantisme très girly. Anxieuse jusqu'au mal être sur les questions de survie bassement matérielles, son existence fomentera sa légende: "Pour qui connaît la valeur et aussi la délectable saveur de la solitaire liberté (car on est libre que tant qu'on est seul), l'acte de s'en aller est le plus courageux et le plus beau. Etre seul, être pauvre de besoins, être ignoré, étranger et chez soi partout, et marcher, solitaire et grand à la conquête du monde."

 

En somme, cette jeune femme est un paradoxe car au-delà d'une vie extraordinaire, elle n'aura laissé comme trace littéraire (outre ses journaux et correspondances qui traduisent une tendance dépressive qui n'est autre que la peur de mourir, travestie elle aussi) que quelques nouvelles à l'eau de rose, des fictions de presse dont la saveur picturale se déguste à la sauce orientale en vogue à son époque, textes qui, s'ils sont d'une valeur littéraire indéniable, sont autant de fragments d'une réalité toute subjective et indicible par l'écrivaine, jamais réellement appréhendable par le lecteur, au fond.

La littérature d'Eberhardt dessert une cause qu'elle aurait dû faire sienne, celle des femmes arabes et musulmanes. Néanmoins, sa force consiste à s'être posée sans le vouloir en exemple de liberté en un siècle où les femmes n'en étaient qu'aux prémices de la conquête de la leur. Aujourd'hui, nous jouissons d'une indépendance certaine : voyager apparaît comme un droit fondamental et inaliénable quand en 1890, c'était pour une jeune Russe un exploit et une vraie aventure que de parcourir seule le nord de l'Afrique. La liberté est possible si on la prend.

Il n'est sans doute pas fortuit que la dernière nouvelle de ce recueil s'intitule "Le paradis des eaux", clin d'oeil appuyé à l'oued algérien en crue qui ôta la vie en 1904 à celle qui n'attendait que ça : "Et quand sonnera donc enfin l'heure de la délivrance, l'heure du repos final?".

 

 

Perles à savourer:

 

..."il y a sur toi la fatalité de ta race..." ou comment une expression de registre neutre peut prendre un tour familier et rendre un effet quasi comique avec l'évolution diachronique de la langue!

 

"Le large disque carminé du soleil nageait, sans rayons, dans l'océan pourpre de l'aube. De petits nuages légers fuyaient, tous frangés d'or, sous le vent frais des premiers matins d'automne, et de grandes ondes de lumière opaline roulaient dans la plaine, sur l'alfa houleuse." Ou quand les consonances et allitérations font claquer la langue langoureusement.

 

"Les choses frissonnèrent." Un sujet générique, un verbe intransitif (sans objet direct ou indirect) au passé simple et la magie de la grammaire opère.

 

"Comme des joyaux, des feux brillèrent sur la croupe molle des collines." Isabelle manquait peut-être d'imagination mais maîtrisait l'art de l'image.

 

"Il était seul, seul dans ce recoin de la terre marocaine et seul partout où il avait vécu, partout où il irait toujours." Mektoub!



01/08/2008
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour