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JOURNALISTE, PROFESSION EN DANGER

               "La Mort de l'Information", Albert Du Roy chez Stock, 2008, 155 dhs

 

L'info Conso

 

 

 

Jeu d'influences

 

C'est sous ce titre volontairement provocateur qu'Albert du Roy, grand journaliste français fort d'une carrière de 50 ans dans la presse écrite, télévisée et radiophonique, annonce la mort probable de sa chère profession. Il dénonce les influences auxquelles est soumis le secteur et qui sont d'ordre politique (aucun quotidien français ne peut revendiquer une réelle indépendance dans la mesure où ils ne trouvent leur équilibre de rentabilité que grâce aux allégements, pour ne pas dire arrangements fiscaux, et autres subventions étatiques dont ils bénéficient), économique (pression des annonceurs pour faire de l'actualité-marketing de l'actualité tout court avec les pages publi-reportages et autres "info-mercial"), industriel (les 3 grands groupes de presse français appartiennent à 3 grands groupes industriels liés aux marchés publics que sont Dassault, Bouygues et Largardère) et éthique (copinage, conflit d'intérêt, sensationnalisme...).

 

 

Crise en France, Boom au Maroc

 

La presse française est en crise : le Monde, Libération, Le Canard Enchaîné sont tous menacés car le lecteur s'informe désormais gratuit et surtout, depuis que plus que de l'actualité générale, du genre de celle qui ferait de lui un citoyen éclairé, il recherche plus que de l'information, du divertissement. La faute aux attentats du 11 septembre 2001 qui ont battu tous les records imaginables en terme d'info spectaculaire. La presse people, quant à elle, ne s'est jamais aussi bien portée. Il y avait France Dimanche puis il y eu Voici et aujourd'hui Public, Closer, Oops... Le plus gros vendeur de presse est TéléZ et le plus gros audimat réalisé à la télé est le bulletin météo !

 

Autre latitude, autre attitude : au Maroc, la presse quotidienne et mensuelle connaît un boom incroyable pour un pays où le taux d'analphabétisme avoisine les 40%. Même s'il s'agit pour la plupart de publications dépendantes d'agences de communication, donc d'une information (é)dictée et formatée par une tendance au copier-collier : on ne fait plus d'interview, on pose "3 questions à", car l'on pense que le lecteur possède un pallier d'attention à ce point limité. Surtout dans la presse féminine où la forme de la maquette caractérise souvent le fond et où le fond récurrent est somme toute peu informatif : en février, le thème de prédilection est la St Valentin, en mars, le féminisme (journée mondiale de la femme oblige), en mai le mariage, en juin les régimes etc... Pour mémoire, le groupe Maroc Soir vient de sortir un énième mensuel féminin, gratuit qui plus est. Mais s'il est juste que la concurrence est saine et émulatrice, parfois trop de choix tue le choix.

 

 

Révolution du web 2.0 et du gratuit, l'ère de l'information : de la quête de sens à bientôt la manche?

 

"La mort de l'Information" est un titre alarmiste et quelque peu réducteur car ce dont il s'agit réellement, c'est de la nostalgie d'une certaine éthique professionnelle qui s'est vu disparaître de façon disparate avec l'avènement du nouveau médium par excellence qu'est Internet. Or, l'information ne peut mourir, puisque l'actualité est une entité abstraite dont l'existence est éternelle en soi, mais le journalisme institutionnel est aujourd'hui menacé par le journalisme dit citoyen (se référer au "Sniper de Targuist" au Maroc, ou comment un quidam a prouvé la corruption policière en filmant les méfaits d'un agent de la route et l'exposant sur le net) ou journalisme qu'on peut également qualifier de faussé ou d'amateur. Néanmoins, à l'annonce faite du décès de Pascal Sevran, qui, encore bien vivant n'aura pas pu se retourner dans sa tombe mais a de quoi en vouloir au responsable de la décision de diffusion de cette "information", en l'occurrence JP Elkabach, grand journaliste s'il en est, on est en droit de se poser des questions sur la légitimité des professionnels de l'information, qui est un business comme un autre, régi par des soucis de rentabilité économiques : Albert du Roy rappelle qu'"aussi bon puisse être un journal, s'il n'est pas lu, son destin est d'aller reposer au cimetière des journaux." Des journalistes issus des publications en péril ont crée www.rue89.com, site d'information de grande qualité mais dont le modèle économique reste à créer. Et Wikipedia est devenu en une décénnie une référence en matière de recherche d'information, même chez les professionnels!

 

 

Le journaliste, espèce en voie d'extinction ?

 

Honnête, le journaliste admet que l'objectivité n'existe pas et que dans les étapes inhérentes au métier, qui sont le recueil, le recoupement et le rendu des faits, la dernière ne peut être que subjective puisqu'elle procède d'une sélection par hiérarchisation de l'information dont l'objectif est d'attirer et de conserver sa cible. Oui, la presse se prostitue et le politiquement correct a fini par engendrer un monstre, le commercialement correct car aujourd'hui, plus que la vérité (qui mène au vote conscient), c'est le règne de la consommation (qui mène à l'achat inconscient).

Enfin, Albert du Roy concède que le traitement de l'information se catégorise désormais sous 4 initiales sifflantes : Scoop, Sensationnel, Secret et Séduction.

 

 

Du message à l'image 

 

Finalement, du Roy livre sa recette pour faire du bon journalisme : trouver un certain équilibre entre la vulgarisation extrême, qui insulte l'intelligence du lecteur, et l'expertise, qui l'ennuie. Et surtout, s'assurer de la multiplicité des sources pour gagner, si ce n'est en véracité (des milliers de témoins ont vu des saucoupes volantes...), du moins en crédibilité. Les restrictions budgétaires qui font qu'on n'envoie plus de reporters sur le terrain pour faire des économies, ont laissé le champ libre aux spécialistes en leur domaine certes (sociologues, psychanalystes, universitaires...) qui, s'ils apportent un éclairage savant à la question n'en restent pas moins des non-professionnels de l'information et dont la parole ne devrait pas être prise pour celle de l'évangile. Le lecteur, comme le journaliste, reste tributaire de sa fainéantise intellectuelle et se contente de relayer l'information qui lui parvient, au lieu d'aller la chercher.



01/08/2008
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